Interview de Tanguy Nef

Tanguy Nef, jeune skieur suisse de 22 ans, a accepté de répondre aux questions de MyTotalSport. Véritable révélation cette saison, il nous parle de son parcours, de la NCAA, de la Coupe du Monde et de bien d’autres sujets.

MyTotalSport : Pourquoi avoir choisi d’aller étudier et skier aux Etats-Unis, plutôt que de choisir un parcours plus classique ?

Tanguy Nef : Pour moi, l’idée d’équilibre dans la vie est importante. Je me voyais mal ne faire que du ski après la Maturité à Brig. Comme je me suis blessé pendant ma quatrième année de sport-étude à Brig, j’ai compris que ça allait peut-être me prendre 2 ans pour revenir à un bon niveau et rentrer à Swiss Ski. Du coup je me suis dit que j’aurai une année de libre et je voulais vraiment éviter cela. J’avais quelque peu entendu parler de ce circuit universitaire aux Etats-Unis et je me suis plus penché dessus quand j’étais blessé. Si je ne rentrais pas à Swiss Ski pour ma cinquième année, c’était mon plan B. Je m’étais dit que j’allais faire ça pendant 4 ans si je n’étais pas pris et que je verrai ensuite si j’avais le niveau pour revenir à Swiss Ski. Au final, j’ai eu un peu de chance puisque j’ai eu les 2 scénarios. J’ai été pris à Swiss Ski et aux Etats-Unis, dans la super université de Dartmouth. Le plan B s’est finalement changé en plan A. Swiss Ski m’a supporté dans ma démarche vers les Etats-Unis. Ils ont été super sympas, accueillants et compréhensifs par rapport à cela. J’ai fait 2 saisons à fond aux Etats-Unis et maintenant ça porte ces fruits. Je suis actuellement entre Swiss Ski et les Etats-Unis. Cet hiver, je n’ai fait que 5-6 jours d’école en 1 mois, car j’étais beaucoup en Europe pour le ski. C’est une situation un peu spéciale que je ne souhaite pas forcément réexpérimenter l’année prochaine, où je vais me consacrer à 100% au ski pendant la période de préparation et pendant la période hivernale.

MTS : Comment arrives-tu à gérer cette alternance entre étude et sport à haut niveau ?

TN : Disons que ce n’est pas facile si l’on prend quelqu’un qui n’a jamais expérimenté cela et qu’on le lâche là-dedans. Moi, j’ai été élevé en Suisse, donc je connais bien le système, la Coupe du Monde. Je sais comment ça fonctionne. Aux Etats-Unis, j’y suis allé crescendo. J’ai pris le temps de m’adapter aux études et au ski, au circuit américain. Du coup, je maitrise assez bien ce que je dois faire ou ne pas faire. Cet hiver ça marche super bien. Si j’avais dû faire cela lors de mon premier hiver, j’aurai pété un plomb. J’aime bien vivre à 200%, je gère assez bien. J’aime bien cet aspect d’équilibre, j’aime bien être occupé et faire des choses, que ce soit prendre un avion pendant quelques heures ou faire des trucs sur le campus. J’aime fonctionner comme cela. En décembre, pendant la préparation hivernale, j’ai bien rechargé mes batteries par rapport à cela. J’étais un peu plus tranquille et je me suis préparé mentalement à gérer études et ski. Je crois que ça a assez bien marché. Le résultat à Schladming (19ème) a confirmé qu’il était possible de vivre comme ça et de performer. J’espère que j’arriverai à refaire cela pour les championnats du monde.

MTS : Tu es champion universitaire (NCAA) de slalom spécial et vice-champion de slalom géant. Où situerais-tu le niveau du championnat de ski NCAA ?

TN : Il y a des années où c’est mieux que d’autres. Il y a aussi des endroits où c’est mieux que d’autres, ça dépend beaucoup de quelles universités recrutent quels athlètes. La NCAA est séparée en plusieurs conférences selon les régions. Personnellement, quand je rentre aux Etats-Unis, je fais les courses universitaires de la côte Est. En théorie, il n’y presque que les universités de la côte Est qui y participent. Il y a la même chose pour la côte Ouest, ils ont aussi leurs courses. A la fin, on arrive aux NCAA Finals. C’est où il y a le meilleur du ski universitaire. L’année passée, c’était sur la côte Ouest, j’avais terminé premier en slalom spécial et deuxième en géant. Cette année, ça se passera sur la côte Est. La saison passée, il y avait un super niveau sur la côte Est, que ce soit en saison régulière comme sur les finales. Je suis un exemple qui montre que le niveau n’est pas ridicule, puisque j’ai réussi à performer en Coupe du Monde. On l’a aussi vu avec Brian Mclaughlin, qui a gagné le géant des finales et qui était dans mon équipe à Dartmouth. Il a déjà réalisé 2 Top 30 en Coupe du Monde et va aller aux championnats du Monde pour les Etats-Unis. Il a très bien performé en Nor-Am et en Coupe du Monde .C’est pour cela que je pense qu’il y a vraiment un super niveau. Il y a plus longtemps, Leif Kristian Haugen, Erik Read, David Chodounsky, Nolan Kasper sont passés par la NCAA. Ce système reste assez performant. Après, cette année, le niveau est un peu moins bon. Dernièrement, j’ai gagné une course universitaire avec 3 secondes d’avance… Du coup, ça m’a mis un peu mal, mais je pense qu’il y a juste un peu moins de monde cette année sur la côte Est au niveau du slalom. Ca ne veut pas dire que ça se porte mal, car ça reste du bon niveau. Je pense que de gagner une Nor-Am est aussi difficile que de faire un Top 5 en Coupe d’Europe. J’avais fait de bonnes choses en Nor-Am et j’ai confirmé ça à Levi, en Coupe d’Europe, même en partant hors des 30. Au finale, je finis 4ème sur la deuxième course. Les gens en Europe ont un peu tendance à dénigrer ce circuit américain, mais je pense qu’il n’y a aucune raison de le faire. C’est un super terrain de jeu et une super préparation pour le Coupe du Monde. Je suis un peu une preuve que ça a bien marché.

Tanguy Nef sous les couleurs de son université de Dartmouth.

MTS : La Suisse est très performante dans les disciplines technique. On peut penser à Yule, Zenhäusern, Aerni, Meillard et j’en passe. Comment expliquer cela ?

TN : C’est vrai qu’actuellement, on a vraiment une super équipe, une équipe complète. Il y a clairement eu un rebond. On reste une équipe de slalom qui est très jeune, si on compare avec la France et Grange, l’Allemagne et Neureuther ou l’Autriche et Hirscher. Ces skieurs, ça fait longtemps qu’ils sont là. Chez nous, le plus vieux est Ramon Zenhäusern, il a 26 ans, cela reste quand même jeune. Surtout qu’il n’a pas énormément d’expérience, comme nous tous. Moi, ce que j’ai beaucoup apprécié, c’est que c’est une équipe qui est super performante et que l’on parle français entre nous. Ca se passe super bien, je suis le petit nouveau qui regarde ce qu’ils font, qui essaye de comprendre. Je prends un peu des notes de ce qu’il se passe. C’est clair que j’ai appris énormément de choses avec cette équipe. Je ne sais pas quelle est la raison de ce rebond dans l’équipe de Suisse, mais je pense que ça a à voir avec les coaches, les chefs et avec les différentes générations. C’est toute une évolution. On a une belle génération 1993 avec Daniel Yule et Luca Aerni. Ils ont tout de suite été bien encadrés, ils ont été amenés tous ensemble et ont apporté cette nouvelle dynamique dans l’équipe de slalom. Aujourd’hui, cela porte ses fruits, mais il y a encore du potentiel. On a été, à quelques reprises, sur le podium, mais je pense qu’on pourra espérer encore plus dans les saisons à venir.

MTS : Pour ta première en Coupe de Monde, à Levi en novembre 2018, tu termines 11e de l’épreuve, une vraie surprise. T’attendais-tu à un si bon résultat, à quoi as-tu pensé à l’arrivée ?

TN : Je ne m’y attendais pas forcément non plus. Je savais que c’était une éventualité, mais une éventualité peu probable. Je sortais d’une blessure à la cuisse qui m’avait coupé pendant le mois d’octobre. Toutes les planètes n’étaient pas alignées pour que cela se passe super bien. Du coup, je me suis dit que ça ne servait à rien de se prendre la tête et qu’il fallait que j’essaye de faire quelque chose. J’ai vraiment puisé dans les ressources que j’avais acquis sur la Nor-Am, sur mon expérience. Je me suis dit que je verrai bien ce qu’il se passe et j’ai voulu me faire plaisir en montrant ce dont j’étais capable. Ma première course en Coupe du Monde, c’était un rêve qui se réalise. Quand je suis arrivé en bas et que j’avais le 15ème temps après la première manche, je me suis dit qu’il y avait un souci avec le chronomètre (rires). Quand j’ai compris, il m’a fallu un moment pour me reprendre, je pense que j’ai un peu explosé intérieurement à ce moment-là. J’ai compris que j’avais le niveau pour me frotter aux meilleurs. Pour la deuxième manche, j’ai encore grappillé quelques rangs pour terminer 11ème. C’était moins une surprise, car je l’avais fait en première manche. Le ski était là et c’était une expérience complètement folle.

MTS : Tu n’as connu que quelques courses en Coupe du Monde, mais tu as connu des publics bien chauds. Peux-tu nous parler de ton expérience avec le public ?

TN : Je n’ai pas énormément d’expérience par rapport aux publics. Je voyais Felix Neureuther, l’autre jour, qui jouait avec le public, qui se sentait vraiment à la maison. Je n’ai pas encore eu de vraie interaction avec le public. En tout cas, au niveau de l’ambiance, du soutien et du fair-play, c’était Adelboden, en Suisse. J’avais pleins d’amis et ma famille qui étaient venus, en plus du monde qu’il y avait. J’avais en plus eu la chance d’aller en deuxième manche et même si ça ne s’est pas bien passé, j’ai quand même pu finir (25ème). Après avoir fait la faute en haut de la deuxième manche, j’ai réalisé que ce que j’étais en train de vivre était incroyable. J’ai eu pareil à Schladming, en deuxième manche. Il y avait 45’000 personnes et je me disais que ce que je vivais était incroyable. D’ailleurs, mon retour aux Etats-Unis est un peu compliqué. C’est dur de se concentrer sur le travail pour l’école (rires). C’est plus dur de faire des petites tâche d’étudiant, car j’ai vécu des émotions tellement fortes que ça fait un contraste bizarre. Il manque un peu de folie. C’est sympa de vivre ces émotions, mais ça ne peut pas être tout le temps, donc il faut en profiter. C’est unique et incroyable.

MTS : Grâce à tes bons résultats, tu as ta place pour les Mondiaux de février à Are, quels sont tes objectifs là-bas ?

TN : L’objectif va ressembler à celui de mes débuts à Levi. Je vais y aller à fond et vivre ça comme une première expérience. Je vais essayer de prendre beaucoup de plaisir et d’emmagasiner toute cette expérience. Au niveau du ski, mon but est de faire deux manches pleines, sans erreur. Le but est de réussir à m’exprimer. En course, j’ai souvent eu des pépins. A Schladming, je pars avec le frein à main et j’arrive seulement à me libérer en deuxième manche (19ème). Donc, mon but est vraiment de faire 2 bonnes manches. Ensuite, on verra ce qui vient. C’est plus le ski que le résultat qui m’intéresse. Je sais que j’ai encore un grand pas à faire pour titiller les meilleurs régulièrement. Je le vois tout le temps à l’entraînement, puisque je m’entraîne avec les meilleurs slalomeurs. Je vois la différence qu’il y a et ce n’est pas en 2 semaines que je vais combler cette différence. Il y a des choses qui se mettent en place, mais j’ai encore beaucoup à apprendre. Are sera encore une étape intermédiaire. Je suis très heureux de pouvoir y participer et je remerci énormément Swiss Ski de me donner la chance de réaliser cela.

Tanguy Nef court aussi en géant, en plus du slalom spécial.

MTS : Toi qui vit la Coupe du Monde de l’intérieur, quelles relations entretiennent les skieurs entre eux ?

TN : Je pense qu’il y a différentes affinités entre les skieurs. Je n’ai connu que quelques courses en Coupe du Monde, mais j’ai aussi revu des gens que j’avais vu en courses FIS il y a quelques années. Par exemple, Clément Noël, de l’équipe de France. J’ai retisser cette affinité avec lui et il existe plusieurs affinités sur la Coupe du Monde. J’ai cette année tissé des liens avec Juan Del Campo, un Espagnol, qui était parti juste devant moi à Schladming. Je ne le connaissais pas du tout avant, mais ça a tout de suite bien accroché et il a fait tout le week-end avec moi. Le ski, c’est un peu une grande famille, on se connaît tous assez bien. Moi, je suis encore le plus jeune, mais avec Loïc (Meillard), on peut aussi parler avec Alexis Pinturault sans prise de tête. On est tous des skieurs et on reste des gens normaux. Du coup, on interagit et on se donne des conseils. Quand je pars avec un haut numéro de dossard, les gars qui partent plus tôt me donnent des informations par rapport à la piste. Ca m’arrive régulièrement de demander des infos à Ramon (Zenhäusern), Daniel (Yule) ou Clément (Noël). On a une bonne relation et moi, actuellement, je ne suis pas celui qui va aller leur voler la vedette. Ce n’est pas comme entre Kristoffersen et Hirscher qui sont toujours à la bataille pour le podium. Nous, on partage ouvertement avec tous et ça se passe super bien. On s’aide pour faire mieux et j’ai eu beaucoup de plaisir à être sur la Coupe du Monde.

sources images : thedartmouth.com; tooski.ch