Interview de Mathieu Chabert (republication du 03.10.2018)
Mathieu Chabert, entraîneur de l’AS Béziers en Ligue 2, a accepté de prendre quelques instants pour répondre aux questions de MyTotalSport. Au programme, une interview qui retrace son parcours d’entraîneur, qui parle de l’AS Béziers, de la Ligue 2, de sa relation avec ses joueurs et de bien d’autres sujets.
MyTotalSport : On sait que vous venez de Béziers. Qu’est-ce que ça fait d’entraîner le club de sa ville, dans son sport préféré et de le voir au haut niveau, en partie grâce à vous ?
Mathieu Chabert : C’est beaucoup de fierté. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup d’entraîneurs qui ont la chance d’entraîner le club de leur ville natale. A Béziers, j’ai ma famille, mes parents, mes amis, j’ai tous mes repères. C’est un club que je connais depuis que je suis tout petit, j’ai un président que je connais depuis très longtemps. Donc il y a beaucoup de proximité et la proximité met dans de bonnes conditions pour travailler, tout simplement.
MTS : Vous n’avez que 39 ans, mais cumulez tout de même pas mal d’expérience pour un entraîneur de cette âge là. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous vous êtes tournés si tôt vers le coaching ?
MC : J’ai eu des problèmes de santé, donc je n’ai pas pu continuer à jouer au foot normalement. J’étais footballeur jusqu’à 24 ans, mais j’ai eu des problèmes de santé qui ont fait que j’ai été obligé d’arrêter la pratique du football. Je n’étais pas forcément prédestiné à entraîner. J’avais commencé à passer mes diplômes d’entraîneur très jeunes, à 18 ans, mais c’était surtout parce que j’ai eu une éducation qui m’a toujours dit que même si l’on avait la chance de faire du football son métier, ça permettait d’avoir un peu de temps et qu’il fallait continuer à s’instruire. J’ai eu mon bac à 17 ans et demi et à 18 ans, je faisais du foot et avais du temps à côté et on m’a proposé de passer les premiers diplôme d’entraîneurs. Comme je suis quelqu’un de curieux, je me suis dit que pourquoi pas. J’ai eu une bonne idée, puisqu’à 24 ans, il a fallu que j’arrête. Peut-être que si je n’avais pas été en avance autant que ça sur les diplômes d’entraîneurs, je ne me serais pas orienté vers le métier d’entraîneur. Après, il faut savoir que je ne suis entraîneur à temps plein que depuis 2 ans et demi. J’ai toujours travaillé à côté, car ça ne me permettait pas de vivre normalement.
MTS : En temps que joueur, beaucoup ont des exemples. Est-ce qu’en temps qu’entraineur c’est pareil ?
MC : Oui, on a des préférences, même si moi je ne me permets jamais de juger un entraîneur de haut niveau, car il aura toujours fait beaucoup plus que ce que moi j’ai fait. Moi, je ne suis personne pour juger les compétences d’un entraîneur de haut niveau parce que je n’ai pas fait le quart de ce qu’il a fait. Après, oui j’ai des entraîneurs que j’apprécie beaucoup, comme Rudi Garcia (OM) en France, qui partout où il passe obtient des résultats. Il avait un peu la même expérience que ce que moi j’ai. Il a commencé à entraîner en National. Après les grands entraîneurs, j’ai envie de vous les dire tous. J’aime bien Ancelotti (Naples), Simeone (Atletico Madrid), Klopp (Liverpool). J’aime bien ce style d’entraîneurs là. Après, si je pouvais faire ne serait-ce qu’un tout petit bout de leur carrière, ça m’intéresserait bien. Pour la carrière de Rudi Garcia, je signe de suite. Le parcours est linéaire, est en constante progression et est fait de bons choix. C’est surtout ça qui est important.
MTS : Béziers réalise, pour l’instant, un début de saison plus que correct. Quel est l’objectif de la saison en cours ?
MC : L’objectif est de se maintenir. Déjà en National, on avait l’avant-dernier budget du championnat, donc en Ligue 2, on a le plus petit budget et de loin. Notre seul objectif est de se maintenir. Après, plus on va arriver à se maintenir un certain nombre d’année en Ligue 2, plus on pourra avoir de nouvelles ambitions. Aujourd’hui, vous me dites qu’on se maintient à la dernière minute de la dernière journée, je signe tout de suite. Après, bien sûr que l’on espère se maintenir le plus tôt possible et on joue tous les matches pour gagner. Plus on gagnera, mieux ce sera, tout simplement.
MTS : En National, Béziers était une équipe joueuse, qui jouait bien au ballon. Va-t-on retrouver les mêmes caractéristiques en Ligue 2 ?
MC : Je vais vous donner ma vision des choses. J’ai entraîné le club pendant 2 ans et demi en National. La première année et demi, on a trop joué. On exagérait et on a perdu des matchs parce que l’on a voulu trop jouer. L’an dernier, on a gardé cette idée de jeu, mais on a été beaucoup plus pragmatique. Oui, on peut avoir une envie de jouer et je pense que pour attirer des joueurs, il faut avoir du plaisir et on prend du plaisir quand on joue. Après, il ne faut pas être borné dans sa philosophie de jeu, ne pas être un dictateur de jeu. Je ne suis pas Guardiola, je suis jugé sur les résultats, donc si pour gagner il faut un peu moins jouer et être plus costaud, je le ferai. Donc, oui, on essaye de jouer, mais on essaye surtout de prendre des points. Si on peut prendre des points en jouant, tant mieux, mais on peut aussi s’adapter sans problèmes pour gagner.
MTS : Sans gros joueurs dans l’effectif, on sait que c’est surtout grâce au groupe, que Béziers réussi. Le groupe, est-ce la chose la plus importante pour une équipe ?
MC : La chose la plus importante, c’est le côté humain et cela rentre dans le groupe. Ce n’est pas compliqué. Je ne connais que 2 ou 3 joueurs dans le monde qui peuvent faire la différence tout seul sur un terrain de foot, et encore. Si vous n’avez pas un groupe de joueurs, pas forcément d’amis, qui travaille bien ensemble, c’est compliqué. Pour moi le groupe ce n’est pas seulement l’équipe, ça va plus loin. C’est le staff, tous les bénévoles… Pour moi, quand un groupe tire dans le même sens, ça paye toujours, c’est sûr et certain. On travaille tous les jours pour qu’il n’y ait pas de failles dans le groupe, c’est notre idée principale. Après on s’entraîne aussi à être performant, attention. Mais on peut travailler les deux en même temps sans aucun problème.
MTS : Vous êtes un entraîneur qui semble très proche de ses joueurs, vous les appelez “Mes gars sûrs”. Quelle est votre relation avec eux ?
MC : Moi je suis comme eux, je suis un jeune entraîneur, donc ça aide. La pédagogie descendante, comme on l’appelait à l’époque, ne marche plus trop avec la nouvelle génération. Je ne vais pas vous dire que c’est un management participatif, mais il faut impliquer les joueurs dans le projet, qu’ils se sentent concernés. Moi j’ai des joueurs qui me tutoient, qui m’appellent Mathieu, qui m’appellent coach… Cette proximité nous permet de dire les choses, mais croyez-moi, ils savent qui est le patron. Et puis, ça permet de tirer le maximum des gens. Quand vous envoyez de la merde à la gueule des gens, ils vont renvoyer de la merde, alors que si vous envoyez de la bonne humeur ils vont renvoyer de la bonne humeur. Quand on travaille dans la bonne humeur, on peut aller chercher des choses. Attention, ça ce n’est que mon avis, ce n’est pas la parole bénite. Ca ne reste que mon avis, mais je pense qu’il y a d’autres leviers que l’autoritarisme pour arriver à une fin en soi. Il faut en avoir, car il faut un cadre. L’idée principale est de poser un cadre défini avec les joueurs. Nous, en début de saison, on fait des petits ateliers où c’est eux qui choisissent les règles. Bien évidemment, je les oriente vers ce que je veux et les idées farfelues je ne les prends pas. On défini les règles en commun et après, dans ce cadre ils sont libres. Après, s’ils sortent du cadre une fois ou deux, c’est le groupe qui les rappellent à l’ordre, une troisième fois c’est moi et après, si ils ne sont pas bien dans le cadre, ils s’en vont, tout simplement.
MTS : Dans votre effectif, il y a un joueur que l’on trouve, et on est pas les seuls, très intéressant, c’est Antoine Rabillard. Comment le trouvez-vous et comment dénicher de tels joueurs ?
MC : Déjà, Rabillard, avant d’être à l’OM, il était à Béziers. Antoine Rabillard, c’est un très bon joueur, et surtout un très bon garçon. Un garçon très travailleur et très investi. Après, il a la chance d’avoir marqué un but en Ligue 1 avec l’OM. Oui, il a joué à l’OM, mais bon. Il a adhéré à l’idée du projet, tout simplement. C’est vraiment le projet du club qui est intéressant. On arrive à attirer des joueurs comme Mehdi Mostefa, qui a joué environ 200 matchs en Ligue 1. C’est des garçons qui se reconnaissent dans nos valeurs de travail, qui aiment la solidarité et l’esprit de groupe. C’est notre discours. Personnellement, je ne parle pas salaire et argent avec les joueurs. On a une cellule de recrutement et on présente des noms selon nos besoins. Ensuite, on valide tous ensemble. Si il y en a un qui n’est pas d’accord, le recrutement tombe à l’eau, même si moi je suis d’accord. C’est participatif et ça veut dire que quand on prend des joueurs, ça limite le champ d’erreur. On prête aussi une attention toute particulière à l’esprit du garçon. Je préfère prend un joueur avec un petit peu moins de qualité, mais où je sais que sur le terrain, il se donnera à 2000%. On arrive à tirer le meilleur des garçons grâce à cela. En plus, on a la chance d’être dans le sud, il fait beau et ce n’est pas des paroles en l’air. Le cadre de vie est relativement intéressant, il y a un projet sportif qui est bien aussi. Quand je présente le projet, je n’ai jamais promis du temps de jeu à personne, que ce soit à Antoine Rabillard ou à un joueur qui vient d’en-dessous. Moi je promets qu’il va travailler, qu’il va se régaler, qu’il va vivre dans un groupe qui vit bien ensemble. Si vous interrogez tous les joueurs passés par Béziers, une chose ressortira, c’est qu’ils sont toujours passés par un groupe super sympa. Je pense aussi que je suis honnête. Quand quelque chose ne va pas avec un joueur, c’est moi qui le dis, pas quelqu’un d’autre. Quand on doit se séparer de joueurs, c’est aussi moi qui l’annonce. Je pense que c’est le moment le plus pénible du métier d’entraîneur, mais ça en fait parti. Des fois, il faut dire que notre histoire s’arrête là car on ne s’entend plus. C’est l’entraîneur et le joueur qui ne s’entendent plus, c’est pas les hommes qui ne s’entendent plus. Moi je suis toujours tombé sur des bons garçons et je garde de bons rapports avec tout le monde. C’est très important à nos yeux.
MTS : Jusqu’à l’année passée, Béziers n’était pas encore professionnel. Pour vous, qu’est-ce que représente le football amateur, n’est-ce pas l’essence même du football ?
MC : C’est une bonne école. C’est une bonne école de la vie de footballeur. De toute façon, le foot amateur, c’est la pépinière du foot professionnel, point final. Tous les joueurs pros ayant gagnés la Coupe du Monde sont passés par un club amateur. Donc le foot amateur, on en aura toujours besoin quoi que l’on en dise et ça peut permettre de vivre de belles histoires, comme la nôtre. Sans foot amateur, le foot pro n’est rien. Le foot pro en est conscient, ne vous inquiétez pas.
Interview réalisée par MyTotalSport, via des questions-réponses par téléphone.